samedi 8 juillet 2017

Vocation


Alain Laboile via Flash of god

Très jeune, Alex Mayouque avait senti germer en lui une vocation de tueur en série. Il n’y avait aucune cruauté dans son cœur. Enfant, il n’arrachait pas les ailes des mouches et il n’enfonçait pas des brins de paille dans le derrière des abeilles pour s’amuser à les voir voler de travers. C’était un garçon charmant et travailleur, très assidu au catéchisme et féru de cantiques en latin. Il aimait beaucoup les grands airs de Jean-Sébastien Bach et pouvait interpréter à la flûte plusieurs compositions de Jean-François Couperin. Il connaissait la liste et les dates de tous les rois de France, de Clovis à Louis-Philippe Ier. Et il imitait à la perfection le coup de pinceau de Vincent Van Gogh. Jamais il ne lui serait venu à l’idée de prononcer un gros mot, même lorsqu’il était seul dans sa chambre.
Quand des amis de la famille ou ses professeurs lui demandaient quel métier il rêvait d’exercer plus tard, son honnêteté était tentée de confier qu’il voulait devenir tueur en série, mais quelque chose, qui ne procédait pas d’une disposition pour le mensonge, lui préconisait de répondre qu’il avait l’ambition d’être pompier ou professeur, voire avocat ou capitaine au long cours. C’est à cette minuscule cachotterie qu’il reconnut la solidité de sa vocation. A notre époque, beaucoup d’enfants rêvent de devenir tueurs en série, mais ils s’en vantent, ils en commandent la panoplie au Père Noël. Pour eux, ce n’est qu’un jeu parmi d’autres, entre frivolité et provocation. En vieillissant, ils se dirigent vers des professions qui offrent des débouchés salubres et des retraites confortables. S’ils avaient la vocation, ils la garderaient secrète, car la dissimulation constitue la première qualité d’un tueur en série...

Franz Bartelt, Le Bar des habitudes, Gallimard

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