samedi 15 avril 2017

Quel cinéma !

via Nitrate Diva



Je l'écoutais d'une oreille distraite en faisant la vaisselle. Même comme ça, cette voix est insupportable. La voix, le ton et le propos. Cette sensation d'être pris pour un imbécile. Et ce n'est pas une question d'horaire. Il m'arrivait parfois, lorsque cette bonne femme officiait dans la tranche de midi de tomber sur son émission. Et de couper après quelques minutes de torture. Une voix mielleuse et enthousiaste, quel que soit l'invité(e). Il faut servir la soupe, déclarer combien ce dont on parle est important et léger à la fois, intelligent et cool, et endormir l'auditeur, l'infantiliser. Ce matin, cette journaliste qui, renseignements pris, est aussi romancière ‒ ben, tiens ‒, recevait une metteure en scène ‒ c'est le site de la chaîne qui utilise ce féminin. Une Brésilienne qui s'est emparée d'un film de Renoir, ou de son scénario dit-elle, pour en faire un spectacle. Et ça, la critique française, elle aime. Vous imaginez ? Une étrangère, dans le vent si j'ai bien compris, qui revisite une de nos gloires nationales... Hyper-nationale devrais-je écrire, quand je pense à la bio que Mérigeau a consacré à Renoir... Mais passons. Durant les cinq minutes qu'a duré la vaisselle du petit déjeuner, un seul thème était abordé. Est-ce du cinéma ou du théâtre ? Du théâtre ou du cinéma ? Du cinéma revisité ou du théâtre trop moderne ? De l'art en tous cas. Son interlocutrice bien entendu jasait dans le sens du crachat embarrassant que l'on faisait passer pour un fleuve impétueux de la pensée. Et ce gloubiboulga s'est certainement poursuivi jusqu'au bout. Saloperie de radio. Il n'y a plus de doute, France culture a enfin atteint le niveau de médiocrité de France inter. Seules semblent pouvoir être sauvées du marasme quelques rediffusions de la nuit. Et qui sait, ici ou là, quelques perles que je n'écoute pas. 


Théâtre, cinéma. Cinéma, théâtre. Des salles de spectacle que je fréquente de moins en moins. Andrea s'en étonnait cette semaine. Je m'y emmerde beaucoup, ai-je avancé.

Bientôt la Grande Vadrouille de Cannes. Je me souviens de mon unique séjour au carnaval du cinoche en 1987, des "professionnels" qui surnommaient la manifestation le Festival de Canal. La chaîne de Bolloré n'étant plus, les mutations de l'industrie imposant la loi des séries, on parle aujourd'hui d'un festival Netflix. Même les jeux de mots ont été absorbés par la mélasse. De cette époque, ne survit que Lescure en Président de pacotille. Chronique d'une merde annoncée. C'était le titre d'un article que Gérard Lefort avait consacré en 1987 au film de Rosi, adapté du roman de García Márquez ‒ bouquin, tiens, que j'avais offert à mon père, qui ne lisait que France Soir et Le Parisien, pour son anniversaire. Un temps où il restait encore à Libé un peu d'insolence. Aujourd'hui, je regarde le spectacle de loin. Les journalistes qui s'inquiètent de l'intrusion des séries dans cette somptueuse célébration du septième art feignent d'ignorer que la convergence des médias s'est produite il y a déjà belle lurette, que les proprios des tuyaux ont la main sur les contenus et que bien des films de cinéma ne sont que des programmes audiovisuels que l'on consommera davantage sur petits écrans, légalement ou pas. Alors bien sûr, chaque année, Cannes se gargarise de ses auteurs pour garder l'haleine fraîche. D'un festival à l'autre, les mêmes reviennent : les frères Dardenne, les frères Coen, l'Espagnol Almovovar, l'Anglais Loach, l'Autrichien Haneke, le Mexicain González Iñárritu, les Américains Allen, Jarmusch, la fille Coppola, le Coréen Hang Sang-Soo, la Japonaise Kawase, et les Français Desplechin, Garcia, Amalric... Et puis un ou deux nouveaux noms par an, histoire de renouveler le cheptel et remplir les pages spéciales des jounaux. Côté acteurs, c'est à peu près kif-kif.
Cette année d'élections, le raout sera politique, nous assure-t-on. Très bien, parfait. Un de ces cinéastes estampillé Auteur international, doublement palmé, et rémunéré en conséquence (il y a quelques années, on parlait de deux millions par film) s'est penché sur le cas des migrants, avec du casting bankable quand même (Huppert, Trintignant, Kassovitz) et un titre, bien entendu ironique, Happy End... Pas de bande-annonce encore. Mais ce court résumé qui en dit long : Tout autour le Monde et nous au milieu, aveugles. Instantané d’une famille bourgeoise européenne.
Je ne peux m'empêcher de penser à ce film des Dardenne, également doublement palmés (c'est un risque quand on prend toujours les mêmes...), qui évoquait les licenciements et la solidarité ouvrière avec, dans le rôle de la petite employée menacée, la star à Oscar Cotillard. 
De son côté, le cinéaste dossiers de l'écran, Iñárritu, n'a pas eu le temps de tourner après son pensum sur le Revenant mais fournira une installation autour des... populations déplacées ‒ fallait y penser. Installation ou clip ? Quatre années de rencontres avec des réfugiés résumées en sept minutes. Bel effort !
On annonce également un film hongrois sur un jeune migrant qui s'échappe d'un camp en faisant de la lévitation... Véridique !

Ce bon Lescure qui, on s'en souvient, après avoir tenté, avec Canal et Vivendi, de se faire une place au soleil hollywoodien s'était retrouvé à faire le guignol dans un jeu télé, a, au cours de sa conférence de presse, tenu à rassurer, en souhaitant que « la Corée du Nord et la Syrie ne viennent pas assombrir » la manifestation et s’interrogeait sur l’identité du ministre de la culture qui viendra rendre visite au Festival. Ne t'inquiète pas, Pierrot, la future Présidente a sous le coude une tripotée de pseudo-intellectuels prêts à occuper le poste.
Le Festival, sa sélection, c'est comme des élections. Il faut y ménager la chèvre et les poux. Promis, on aura aussi du cinéma ! Et quel cinéma ! L'oscarisé Hazanavicius (récompensé on s'en souvient pour son imitation du cinéma muet) nous livrera son adaptation du bouquin d'Anne Wiazemski, Le Redoutable. L'inénarrable Louis Garrel, issu de l'incontournable dynastie du septième art, y imite le Pape. C'est papa qui doit être content. Je ne résiste pas à revoir avec vous ces deux teasers indépassables :







Le vétéran Doillon revient en force avec un autre biopic, Rodin. Avec la fille Higelin et le très honnête Lindon à qui, au vu de cette bande-annonce, on attribue sans hésitation le Prix de tout ce qui pourrait lui faire plaisir et remplir ses poches.




Le biopic, ça n'a rien de bio, c'est plutôt mauvais pour l'environnement et notre santé, mais c'est l'époque qui veut ça, comme on dit au comptoir de nos consolations. Ce bon vieux Amalric, dont le pote Arnaud fait l'ouverture du festival avec un nouvel épisode de sa plate vie sentimentale et sexuelle (avec Amalric comme il se doit, et Cotillard, la fille Gainsbourg...), s'est attaqué à Barbara. Des années que je me demandais pourquoi personne n'avait songé à offrir à la fille du philosophe Balibar d'interprèter la chanteuse, tant la ressemblance, de loin et bien maquillée, est frappante. C'est chose faite avec l'ex de Balibar. Dans ce que j'ai pu lire, il est dit qu'il s'agit d'un vrai-faux biopic. Je n'en attendais pas moins de ce talentueux cinéaste-acteur-fils de-pote de. Notre ami est trop intelligent pour tomber dans le piège du simple biopic. Il se sait au-dessus de ça. Nous aussi. Il a donc concocté l'histoire d'un metteur en scène (Amalric en personne) qui veut faire un film sur la chanteuse (son ex, donc). Je n'ai malheureusement pas trouvé de bande-annonce mais on s'en passera sans sourciller. 

Et lorsque je jette un oeil au reste de l'actualité cinématographique, j'ai vraiment l'impression que je ne retrouverai pas de sitôt le chemin des salles obscures, que celles-ci ne serviront plus, comme jadis, de refuge à ce fils d'immigré qui les a tant aimées... 









etc.
Les petits écrans ne peuvent produire que de petits films, du cinéma qui imite le cinéma.

Reste que j'irai peut-être revoir avec ma fiancée ou l'une de mes filles ce beau film japonais que mon ami Pierre m'avait invité à découvrir il y a quelques semaines, le bien-nommé Après la Tempête. Qui nous fait croire encore à une certaine grâce...


2 commentaires:

  1. Plutôt que Lefort, cette critique du film de Rosi n'émanait-elle pas de Serge Daney?
    Quel plaisir de vous lire quotidiennement.

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    1. Cher Thelonious, vous avez ici la réponse à votre question : http://next.liberation.fr/cinema/2015/01/10/fransco-rosi-annonce-d-une-mort-chronique_1177730
      J'ai un peu par la suite, en raison de mes activités "journalistiques", cotoyé Lefort qui me confiait ne pas être très fier de ce titre...
      Enfin, si ce blog peut faire plaisir à quelqu'un, ça me fait plaisir... A bientôt

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